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L'épicerie de l'orage
12 février 2012

l'incendie à la cité radieuse

Je pose quelques mots ici. Ce sera plus simple pour donner des nouvelles à tout le monde.

La première chose que l'on a à vous dire, du fond du coeur, c'est un immense MERCI. On est porté par une vague de solidarité incroyable. On n'a pas eu le temps de répondre à tous mais sachez que chacun de vos mots est important pour nous. On n'en revient pas d'ailleurs, on croule sous les messages de soutien, sous les propositions adorables, et chacun d'eux nous touche profondément. Chacun d'eux est un point d'appui inestimable. Ils viennent d'amis très chers mais parfois aussi de gens que l'on connaît à peine. C'est incroyable. On prendra vraiment le temps de répondre mais là, on est un peu noyé par tout ce qu'il y a à faire et on a un petit loup qui réclame beaucoup d'attention.

La seconde chose très importante que je tiens à dire, c'est que j'espère ne pas donner l'impression de trop en faire. En écrivant ce post ici, je me dis que l'on vit un truc certes déstabilisant mais pas dramatique. Je ne vais pas faire ici la liste de toutes les horreurs du monde, vous les connaissez aussi bien que moi. Sans chercher au bout du monde d'ailleurs. Des gens ont dormi dehors dans le froid cette nuit. Plus près de nous, des amis s'inquiètent pour la santé de leur enfant. D'autres ont vécu des choses si dures. Alors, un peu perdus, oui, mais on relativise. 

Ensuite, d'accord, il y a l'effet "cité radieuse". Le monument historique. La notorité du bâtiment, la complexité de l'architecture et le caractère spectaculaire de la progression du feu. Mais on fait moins de foin quand il s'agit de l'incendie d'un immeuble vétuste habité par des sans-papiers et dans lequel on dénombre 15 victimes. 

Donc, oui, on donne des nouvelles. Mais j'avoue que j'ai aussi un peu honte de ça. 

On est un peu déboussolé, on repasse les images en se disant que ça aurait pu être pire mais on est indemne, on est hébergé, on est assuré, on est entouré. On touche du doigt justement la situation de ceux qui n'ont pas ces piliers-là...

Pour ceux qui ne savent pas encore, nous sommes descendus jeudi midi de notre appartement parce que ça sentait le brûlé. Nous sommes allés voir, avec juste un trousseau de clé à la main. Et nous n'avons jamais pu remonter. Deux appartements étaient en feu. Les couloirs étaient déjà très enfumés. Nous avons attendu notre petit garçon pendant 3 heures en bas de l'immeuble, très angoissés. Il était à l'école sur le toit. Ils n'ont été évacués qu'en fin d'après-midi. En tout, l'incendie a duré 18 heures, il est monté jusqu'au cinquième étage, là où nous habitons.  

Pendant 48 heures, nous n'avons pas pu y retourner. Les pompiers sont allés chercher des choses urgentes. Pour moi, ce furent mes lunettes... 

Et puis hier après-midi, encadrés par deux marins-pompiers, on a pu monter "chez nous". Dix minutes pour voir. On est donc dans la zone sinistrée, "la zone rouge" comme ils disent. 

C'est une vision apocalyptique... Certains ont dû voir les images. Je vous assure que c'est encore plus chouette en vrai. L'odeur, l'odeur incroyable... l'eau, le gel partout, des stalactites, ça glisse, on ne voit rien, tout est dévasté... les portes explosées, les murs éventrés, les ravages du feu... 

Chez nous, comme on nous l'avait dit, ça n'a pas brûlé. Alors que les flammes sont passées très très près. Bon, on ne sait pas du tout ce qu'on pourra récupérer. On nous dit que tout est à jeter car contaminé par les fumées toxiques, que l'on ne pourra rien récupérer. Tout est recouvert de suie et abîmé par ces fumées. Et il y a les dégâts des eaux. Certaines choses pourront peut-être être décontaminées ? On ne sait pas du tout. On a quand même beaucoup de chance car on a pu récupérer nos papiers d'indentité, des médocs, nos deux ordinateurs et... doudou ! Doudou lavé 5 fois déjà, qui sent la fumée... mais il est là. L'odeur est tenace même sur ces quelques objets pris en urgence. Je la sens partout. 

Demain, on en saura un peu plus. On entend de tout : de l'arrêté de péril à la réparation rapide... Comme toujours dans ces cas-là, chacun projette ses propres désirs. Chez certains, j'ai comme l'impression d'un déni... Qu'en est-il de l'aile nord ? On ne sait pas ce qui sera décidé pour l'ensemble du bâtiment. Comment y vivre aujourd'hui ? Bon, à la limite, c'est plus simple pour nous, la zone sinistrée, on ne pourra plus y vivre, c'est sûr.

On va tenter de trouver une solution temporaire parce qu'on veut très vite - parce qu'on doit très vite recommencer à travailler.  On est tous les deux "indépendants" comme on dit, c'est un peu l'urgence, se réinstaller quelque part pour ne pas laisser trop les jours filer sans travailler.

Bien sûr, que Matteo retrouve aussi sa maîtresse, ses amis. L'école est hébergée à partir de lundi dans une école du quartier. C'est important qu'ils parlent de ça tout ensemble. On nous a mis en place la célèbre "cellule psychologique", ça fait rire certains mais moi je vais les contacter, peut-être seront-ils lundi à l'école ? Je suis un peu désemparée face aux questions de Matteo. Ils ont passé 3 heures sur le toit, jeudi après-midi, avant d'être évacués. Certains ont eu très peur paraît-il. Même si leurs maîtresses Hélène et Laurence ont assuré comme des chefs ! Merci à elles. Mais il y a bien sûr l'après et tout ce qu'ils ont vu, entendu. Et ceux qui vivent sans pouvoir "rentrer à la maison". 

Outre les questions d'avenir, il y a déjà les polémiques qui enflent, bien sûr. Certains cherchent à tout prix des coupables. Là, maintenant, dès aujourd'hui. Sur la rumeur, sous le coup de la colère, sous l'émotion. Personnellement, je ne sais rien de tout ça. Y a-t-il eu des manquements à la sécurité ? De quel côté y a-t-il eu défaillance ? Y a-t-il eu défaillance, d'ailleurs, ou bien est-ce un incendie malheureux mais banal ? La seule chose que je puisse dire, c'est que nous avons vu des marins-pompiers, parfois des gamins, se jeter dans les flammes, ressortir intoxiqués, d'autres partir chercher des gens bloqués sur les loggias. On ne peut pas laisser dire, comme nous l'avons entendu : "il n'y avait qu'un seul gars avec une pauvre lance" ! Certains étaient même scandalisés que l'on ait fracassé leur porte à coup de hache... ben ouais, les pompiers ne sont pas passés à l'accueil demander les clés... C'est fou la réaction des gens... Après, y a-t-il des problèmes d'effectifs à Marseille, d'équipement ? Pourquoi en effet les plans de l'immeuble n'étaient-ils pas connus ? Pourquoi ont-ils été communiqués si tard ? Qui aurait dû s'inquièter de ça en amont ? (pour ceux que ça intéresse, cet article de La Provence expose bien les faits, je trouve). En tout cas, nous, en 4 ans, nous n'avons jamais eu d'exercice d'évacuation. Et notre propriétaire venait de nous refuser l'installation de détecteur de fumée dans notre appartement au motif que ce n'était pas encore obligatoire. Très sincèrement, pour avoir connu d'autres problèmes moins graves dans l'immeuble, je sais que certains sont prêts à s'asseoir sur les règles de sécurité les plus élémentaires pour garder l'oeuvre de Le Corbusier habitée. Et ce ne sont pas les marins-pompiers. Chacun devra balayer devant sa porte. Et c'est tristement le cas de le dire... 

Nous, on dit merci aux marins-pompiers de Marseille. Tous ceux que l'on a croisés étaient d'un dévouement extraordinaire. On laisse les responsabilités aux experts. 

On dit merci aussi aux habitants, à nos voisins. On parle souvent de la communauté du Corbu. C'est vrai, parfois, j'en doutais... Mais là, solidarité et chaleur humaine maximales. C'est étrange, je sais qu'il nous faudra partir mais ce sera dur de les quitter. "On a traversé quelque chose de si fort ensemble", me disait une voisine hier. Oui, c'est ça. J'ai expérimenté la famille Corbusier, je peux vous dire qu'elle existe, on l'a vraiment rencontrée ! On n'habite jamais la cité radieuse par hasard, c'est vrai. Pour nous, c'était tellement de symbole de vivre là... Ça fait une drôle de blessure d'en parler au passé. 

Ensuite, à vous tous qui nous demandez tellement gentiment ce que vous pouvez faire, pour le moment on répond : être là comme vous le faites ! C'est tellement important pour nous ! Pour les questions matérielles, pour le moment, on est entouré de nos familles. On a acheté quelques fringues en urgence. On attend maintenant demain, contacter l'assurance, l'expert, voir ce qui va nous être proposé, comment on va pouvoir se reloger. 

En ce qui concerne l'épicerie de l'orage, certains, dans un élan de solidarité qui nous touche beaucoup, nous demandent s'ils peuvent acheter des livres. Surtout n'en faites rien pour le moment (je bloque l'accès aux commandes), nous ne pourrions pas les honorer ! Tout notre stock n'est pas dans l'appartement, heureusement, mais il faudra un peu de temps avant de tout rassembler... Quant à notre dernier titre "c'est quoi la politique ?", il est dans un entrepôt à Marignane ! Par miracle, par hasard, ou juste par un concours de circonstance de retard de livraison qui nous a fait râler mercredi soir et dont on bénit le ciel et/ou notre imprimeur aujourd'hui... On va essayer de vite les récupérer. On a tellement envie de rapidement recommencer/continuer. Vite, vite, que la vie reprenne ! 

Voilà. On vous donnera des nouvelles. Il y a des coups de moins bien. Ce soir en est un. Je me vois en train d'écrire tout ça, c'est comme si je réalisais. Les larmes sont enfin proches, jusque là il a fallu tenir, j'espère qu'elles feront du bien. 

Et puis, my god ! Tous ces messages lus ici ou là en commentaires des articles de presse : "c'est moche", "heureusement que ça a brûlé"... Je savais que j'en lirais. Je comprends parfaitement que l'on n'aime pas Le Corbusier... mais là, bon... là ça fait juste mal pour rien.

Je joins d'ailleurs une photo du Corbu prise un soir fin décembre. Souvent on pestait contre notre cité radieuse, contre monsieur Jeanneret qui n'avait pas bien pensé ci ou ça, contre ceci contre cela. Ce soir-là j'ai pris cette photo avec mon téléphone, on était en paix elle et moi, je l'ai trouvée si belle dans la lumière d'un soir d'hiver !

Je préfère en garder cette image. J'espère qu'elle redeviendra vite ainsi. Mais j'aurai du mal à effacer ce que j'ai en ce moment dans les yeux. 

Ça fait presque quatre ans que l'on se dit : "on habite un concept". Depuis trois jours, on est passé du concept à une drôle de réalité... 

 

IMG_3187

 

 

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Commentaires
A
hooo <br /> <br /> quelle aventure, courage!!!!
T
La marseillaise déracinée que je suis a fait un bond ce jour là en écoutant la radio...Pourtant comme tu le dis tous les jours il y a des choses plus graves qui se passent...mais l'affectif ne se commande pas. J'ai toujours aimé ce batiment, je suis souvent passée devant, j'ai eu des amis qui y habitaient, il fait partie de ma ville...Tes mots sonnent si juste, ta photo est magnifique, je pense à vous et à tous les habitants sinistrés...
I
chers amis, si nous en doutions maintenant nous savons que nous n'habitons, nous ne travaillons pas n'importe où... A nous d'avoir l'intelligence et la générosité de le faire partager... dans, avec, grâce (j'ose dire!)cette épreuve en effet, bien moins grave que l'on voudrait nous le faire croire! bises, Katia
L
Bon courage !
A
Courage ! et gardez bien tout au fond de vous ce lieu comme vous le voyiez avant. Je vous souhaite très sincèrement de repartir vite vers "après", l'histoire, la votre, toute écornée quelle soit par le feu, aujourd'hui va sûrement rebondir, et puis vous avez sauvez "doudou" et les livres... bien à vous
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